MAYER A LA CONQUÊTE DU GRAAL

©PHOTOPQR/L'ALSACE ; Kevin Mayer Décathlon au saut en hauteur aux championnats d' Europe d' athlétisme de Zurich (Suisse) le 12 Aôut 2014 (MaxPPP TagID: maxsportsworldtwo179701.jpg) [Photo via MaxPPP]

©PHOTOPQR/L’ALSACE ; Kevin Mayer Décathlon au saut en hauteur aux championnats d’ Europe d’ athlétisme de Zurich (Suisse) le 12 Aôut 2014 (MaxPPP TagID: maxsportsworldtwo179701.jpg) [Photo via MaxPPP]

Rien n’est encore joué dans le combat magnifique que se livrent à eux-mêmes les rescapés du décathlon olympique depuis hier matin. Rien ne le sera avant que soit franchie la ligne d’arrivée du 1500m qui clôt le drame en dix actes que se sont donnés pour mission ultime ces glorieux combattants. Rendez-vous sur les coups de 22h (3h du matin à nos horloges européennes). Et d’ailleurs, ne remercions pas les ignorants mercantiles qui pour des droits télévisés toujours à la hausse, calent des horaires invraisemblables aux décathloniens qui, comme à leur habitude, ouvrent les portes du stade chaque jour à 9H30 pour rendre les clefs tard le soir, fourbus mais heureux presque 13h plus tard ! Ces horaires sont déments, se foutent des athlètes et ne permettent pas l’expression de la performance.

Tous vainqueurs disait Zatopek des marathoniens qui franchissaient la ligne d’arrivée, tous vainqueurs ils le seront forcément, les forçats volontaires de ce drame magnifique en dix actes. Et d’entre eux (combien seront-ils encore au bout du combat ? vingt-cinq, vingt-deux, dix-neuf ? hier cinq sont tombés au champ d’honneur, et pas des moindres : Coertzen, Sintnicolaas, Freimuth, Andreev), il en sortira trois géants (plus géants que les autres) qui graviront les marches du podium, sculptés par ces deux jours extraordinaires et les milliers d’heures d’efforts pour leurs travaux d’Hercule.

Rien n’est joué de cet opéra fantastique qui réunit dans ses dix actes toute la geste athlétique, du sprint et de la résistance, de la force et de la détente, de l’adresse, de l’explosivité, de l’endurance, enfin toutes les qualités nécessaires à forger l’homme complet dont le public pourtant peine à reconnaître l’inépuisable talent.

Et parmi ces géants méconnus qui ne jaillissent dans la lumière qu’à l’occasion de quelques fulgurantes sorties comme aujourd’hui à Rio, fuse la sculpturale silhouette d’un blondinet devenu grand, poussant des cris de conquérant à chaque épreuve accomplie, accompagné sur les réseaux sociaux et dans les travées des tribunes par des groupies enamourées, le splendide athlète de Tain-Tournon, le dénommé Kevin Mayer. Conforme à ses prédictions, bousculant l’ordre établi, poussant ses propres records dans leurs derniers retranchements, et profitant des insuffisances de ses principaux adversaires, Kevin a su pour la première journée de cette lutte sans merci, sortir plus que son épingle du jeu, en restant au contact de l’intouchable Ashton Eaton, modèle de la discipline depuis quatre ans, le formidable et félin athlète façonné par le maître Harry Marra, aussi dominateur que Bolt dans son domaine et pourtant aussi vulnérable.

Le décathlon a pour qualité et pour défaut qu’il offre dix occasions de réussir et autant de se perdre. Gare au faux pas. Pour Kevin, jusqu’à mi-parcours, il n’y en eût pas, il reste dans la trajectoire fantasmée qu’il s’est promis de parcourir comme il se le promettait la veille par ces mots sur sa page Facebook :  « Demain commence l’effort jusqu’à ce que mort s’en suive ». Le regretté et méconnu premier champion olympique noir du décathlon Milton Campbell avait eu à peu près les mêmes mots à sa mère en 1956 : « je reviendrai des Jeux (de Melbourne) vainqueur ou dans une boîte ». Loin d’un esprit morbide, c’est d’une quête de transcendance dont il s’agit comme l’a justement remarqué son copain des stades Florian Geffrouais « Se réveiller et voir que Kéké a ré-enclenché le mode transcendance… On va enfin voir si Ashton tient la pression! DEBUT MONSTRUEUX! » (oui, mais il ne fallait pas dormir pendant le décathlon des J.O, M. Geffrouais…)

On a bien compris que Mayer était rentré dans une autre dimension, il est comme qui dirait « hors de soi », c’est-à-dire que, seul parmi tous ses adversaires maîtrisant parfaitement la technique, il peut dorénavant s’affranchir des limites qui le laissaient jusqu’alors au bord de l’exploit, pour rentrer naturellement dans le surnaturel. Soyons clairs : Eaton a potentiellement encore presque 300pts d’avance, Warner est déjà presque battu pour la seconde place. Restent comme candidats au podium Bourrada, Kazmirek, Abele, Suarez et peut-être au mieux un ou deux autres (Taiwo, Helcelet…) Mais Eaton a montré hier qu’il n’était pas au mieux de sa technique ni de sa forme. Personne ne peut lui souhaiter un faux-pas, mais à 8800pts il serait vulnérable. Car, si Kevin repart aujourd’hui comme il a performé hier, il sera proche de ce seuil et alors… Restons les pieds sur terre, il faut rêver. Rêver avec ce champion des champions qui est en train d’éclore devant nous. Si Mayer va au bout de sa « transcendance », alors il y a peut-être l’extase !

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