Vive le décathlon féminin !

« Let women decathlon »

Photos : Tom CARRASCOSA @tomahawket quelques autres

Ce fut un week-end formidable. 12 filles au départ, 12 à l’arrivée, performance rarement atteinte dans un décathlon masculin. Près de 20 ans après son record du monde (le 1e homologué), Marie COLLONVILLE remettait les trophées -de jolies oeuvres artistiques créées pour l’occasion- à toutes ces valeureuses concurrentes.

Les 12 concurrentes de cette première édition, autour de Xtof, animateur de réunion : Jordan GRAY (sur les épaules d’Adeline AUDIGIER, et tout autour Jordyn BRUCE, Roseva BIDOIS, Patricia MEHLICH, Clémentine CARIAS, Mathilde ETIENNE, Anaïk PREVIDI, Lou DUMAS, Laura GRAZIANI, Anissa BEN TALEB, Myrtille LEMOINE

L’épreuve s’est déroulée dans l’écrin du stade Robert Bobin à Bondoufle, dans le cadre de l’Open de France- où tout avait été préparé par une organisation aux petits soins, pour que les athlètes fassent de leur mieux. Et elles l’ont toutes fait. Cela, malgré les vicissitudes d’une météo capricieuse et franchement hostile au début du concours de la perche, là où les néo-décathloniennes ne maîtrisent pas encore tout des arcanes d’une discipline complexe et acrobatique ; malgré aussi la blessure réitérée de la vainqueure promise de l’épreuve, qui tint pourtant avec une épaule luxée à lancer le javelot et à courir un 1500m de calvaire. Jordan GRAY, venue en famille d’Atlanta (Géorgie) avec sa comparse Jordyn BRUCE (2e de l’épreuve) et son entraîneur, accueillie à Marseille par la promotrice de la compétition Adeline AUDIGIER (finalement 4e), avait des larmes de douleur et des larmes de désarroi en sentant que son épaule, opérée l’an dernier, la lâchait à nouveau dès l’échauffement du saut à la perche. Après une première journée de haute intensité, elle pouvait entrevoir la possibilité du record du monde d’Austra SKUJYTE (2005). Mais, dans un premier temps sur les haies où dans sa série le vent tournant était devenu négatif, puis malgré un bon lancer du disque au-delà des 40m qui la relançait dans la course au record, a surgi le chemin de croix. Mais un chemin de volonté aussi, de pugnacité, à l’image d’une jeune athlète qui se bat depuis plusieurs années pour la reconnaissance du décathlon féminin. Son mouvement « Let women decathlon » et sa pétition signée par des centaines de fans, est encore un cri dans le désert. Mais, c’est forcé, elle sera bientôt entendue.

https://www.letwomendecathlon.org/

Plusieurs dizaines de demandes d’inscription

Si 12 concurrentes seulement ont été retenues pour cette première édition nationale, il faut ajouter que plusieurs dizaines de demandes ont été faites auprès de l’organisateur et il a fallu sélectionner les profils. Cela montre bien que la demande existe, et elle ne vient pas (à quelques exceptions près) d’heptathlètes en fin de carrière, qui viendraient par curiosité voir ce qu’il en est sur dix épreuves. Jordan GRAY elle-même vient de terminer 7e des derniers Trials américains sur l’heptathlon, une des compétitions les plus relevées du monde ; elle est d’ailleurs sélectionnée dans l’équipe américaine (mais pourra-t-elle concourir après sa blessure ?) pour disputer la Thorpe Cup, la rencontre Germano-Américaine qui a lieu chaque année au mois d’août entre les deux nations.

Un titre de championne de France dès 2024 ?

Ces jeunes femmes -parfois très jeunes, Clémentine CARIAS qui remporte l’épreuve du javelot et termine 6e du classement général, est cadette 1e année (16 ans)- ont par leur sérieux, leur concentration tout au long des deux jours, leur détermination à poursuivre jusqu’à son dénouement une compétition éprouvante, démontrent qu’elles sont prêtes. Il ne manque plus aux autorités compétentes, d’abord peut-être à la FFA qui a tenté cette aventure cette année, qu’à prendre les bonnes décisions : inscrire la discipline au programme de tous les championnats (départementaux, régionaux, interrégionaux) d’EC dès 2024 et l’intégrer dans les bilans, décerner un premier titre de championne de France dès 2024 (année olympique où la France sera sous les regards des projecteurs), pour inciter les autres nations à en faire de même et WorldAthletics à inscrire la discipline au programme des J.O 2028 à Los Angeles. Il ne doit plus y avoir de tergiversation.

Bien sûr, l’heptathlon disparaîtra des programmes. Les athlètes au sommet de leur art aujourd’hui pourront en disputer les derniers championnats, en 2024, 25 et 27. Comme ce fut le cas pour le pentathlon en 1980. Et puis, l’ère du décathlon féminin arrivera. Et on y verra plus clair aussi en terme de communication. Quand déjà il faut expliquer qu’il n’y a pas d’épreuve de natation ni de cyclisme dans le décathlon, le commentaire se corse lorsqu’il s’agit de parler d’une discipline encore plus obscure : l’hep-ta-thlon. Quesako ?

Triathlon (années 1930), pentathlon (1950), heptathlon (1981), décathlon (2024 ?)

Malgré les vents contraires -et pas seulement sur le stade- les temps changent, et l’avènement de la discipline n’est plus qu’une question de quelques années. Il le faudra. Les championnes de l’heptathlon, de Jackie JOYNER-KERSEE à Nafissatou THIAM n’ont jamais envisagé de lancer le disque, de sauter à la perche ou de courir le 1500m, et on ne peut le leur reprocher, ça n’était pas au programme des championnats, aucun intérêt pour elles de s’entraîner pour ces épreuves. Mais une génération d’athlètes est demandeuse d’un concours complet abouti, d’un véritable décathlon. Le décathlon est une épreuve à part entière, c’est L’EPREUVE par excellence de l’athlétisme, puisqu’elle assemble le tout des qualités nécessaires au sauteur, au lanceur et au coureur. Quand l’heptathlon, toute son histoire nous le démontre, est d’abord l’expression de très grandes spécialistes d’une ou deux épreuves, qui trouvent leur accomplissement -souvent incomplet d’ailleurs- dans une épreuve elle-même inaboutie. L’histoire de l’athlétisme moderne s’est trop longtemps et inexplicablement arrêtée à une côte mal taillée (passant difficilement du triathlon au pentathlon dans les années 1950 puis du pentathlon à l’hepta dans les années 1980), alors que les filles sautent depuis longtemps à la perche et lancent le disque depuis les premiers Jeux Olympiques qui leur ont été permis en 1928, quant au 1500m il est discipline olympique pour les femmes depuis plus de 50 ans (Munich, 1972).

Quels arguments encore valable pour empêcher le décathlon féminin ?

Alors pourquoi ? Les arguments avancés depuis que l’IAAF (WordAthletics) a homologué les premiers records du monde avant de rétropédaler, sont juste d’une très grande mauvaise foi, sans même évoquer la question de l’ordre des épreuves qu’il faudrait modifier pour ne pas gêner le décathlon de ces messieurs (si, si, authentique !) Au mieux, quand il serait toléré, mais certainement pas dans les grands championnats, un décathlon au rabais, un décathlon pour les femmes en quelque sorte.

Prenons le principal (et seul) grief qui est encore aujourd’hui avancé : « Déjà qu’il n’y a pas beaucoup de monde à pratiquer cette discipline (l’heptathlon), il y en aura encore moins avec 3 épreuves de plus, et de surcroît -les pauvres- quand trouveraient-elles le temps de s’y préparer ? » -comme si les combinards s’entraînaient plus que n’importe quel athlète de n’importe quelle autre discipline ! Les journées n’ont que 24h pour tout le monde sans parler des temps de récupération nécessaires- Non, au risque d’en décevoir certains, le décathlonien (ou la décathlonienne) ne s’entraîne pas plus fort ou plus longtemps que les autres, simplement il/elle s’entraîne différemment.

Marie COLLONVILLE et les organisateurs de la compétition, devant les valeureuses décathloniennes

La question porte sur l’égal accès dans le monde entier à telle ou telle discipline. On prend aisément l’exemple de l’Afrique, qui ne dispose pas des infrastructures ni des encadrements propices à l’entraînement de disciplines complexes telles les EC. La pratique de l’heptathlon chez les femmes comme du décathlon chez les hommes y est (très) faible : en moyenne sur les 10 dernières années, une dizaine d’hommes (décathlon) et une dizaine de femmes (heptathlon) y sont référencés sur les bases statistiques de Wordathletics. Mais partout où l’on peut sauter à la perche pour les hommes, on pourra en faire de même pour les femmes, non ? La réalité est que, quel que soit le continent, le pays, sa richesse, ou sa passion pour l’athlétisme, le décathlon -de tout temps, et cela était aussi vrai dans l’Antiquité pour le pentathlon- est une discipline très peu pratiquée. Sur tous les continents -donc réellement universelle- mais par peu d’athlètes, pour des raisons que l’on pourrait développer mais qui n’ont rien à voir (ou très peu) avec le niveau d’équipement ou d’encadrement.

Il ne faudrait en tout cas pas que l’on attende à nouveau 20 ans avant que WorldAthletics franchisse le pas.

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